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Mental

Makis Chamalidis - Publié le 15/06/2015

L'utilité des rituels au tennis

Chapô: 

Il y a plusieurs notions : la superstition, le rituel, la routine. Avec la superstition on est déjà dans l'irrationnel. Le rituel, lui, a un sens. Il peut-être ancré dans quelque chose d'un peu plus symbolique, parce qu'il doit permettre comme la routine de compartimenter les actions, de baliser mais aussi d'aider à ne pas penser à quelque chose de négatif, ce que l'on appelle les pensées parasites.

Boire lors des changements de côté est l'un des rituels les plus communs au tennis - © Tennisleader.fr
Boire lors des changements de côté est l'un des rituels les plus communs au tennis - © Tennisleader.fr

Quand on voit les rituels ou les routines qui fonctionnent, ce sont des joueurs et des joueuses qui sont dans un processus. Comme une Sharapova qui va se tourner vers la bâche et regarder son cordage.  Comme un Nadal aussi qui positionne ses bouteilles. Dans ces moments là, ils auraient pu être dans le doute et penser à quelque chose de négatif, mais non ça leur permet de passer à l'étape suivante, sans trop de dommages finalement. Et cela montre que le rituel doit être plus fort que la peur, l'appréhension et le doute. Quand on arrive à faire ça, on a un outil en main. Ce sont des petits ponts qui permettent de rester dans le match, dans le moment présent, dans sa bulle. Sans ces ponts, on va tomber dans l'eau, ce qui peut créer des dommages en terme de concentration et de confiance.

Tout le monde est un peu superstitieux, même une Sharapova qui ne marche pas sur les lignes. Je peux très bien marcher sur les lignes et faire un bon match mais c'est tellement ancré que pour certains il ne faut pas y toucher. En revanche, le rituel de se tourner vers la bâche est beaucoup plus symbolique, c'est un acte. Or, ne pas marcher sur les lignes, c'est un non-acte. Le rituel est avant tout une création alors que la superstition c'est une habitude sans laquelle on est moins à l'aise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Psychologue du sport, Makis Chamalidis a travaillé depuis 1994 avec plus de 300 sportifs et entraîneurs de haut niveau dans une vingtaine de discipline sportives en France et à l’étranger. Rattaché depuis 1997 au centre national d’entraînement à Roland Garros, il est aussi l’auteur du livre "Splendeurs et misères des champions" (crédit photo © Makis Chamalidis)

Créer son rituel

Le rituel, il faut le créer. Dans ce domaine, on ne peut pas faire du copier/coller. Ce n'est pas parce que ça marche pour untel que ce sera le cas pour moi, donc il faut partir de soi. Qu'est-ce qui va m'aider à rester dedans ? Ensuite pour que ça fonctionne il faut que ce soit appliqué de manière régulière et disciplinée. Trop de sportifs vont simplement s'encourager quand la situation leur est favorable. Tandis qu'en observant les tout meilleurs on constate qu'ils le font que le point ait été gagné ou perdu. C'est ce qui fait la force du rituel, de l'appliquer peut-être pas à chaque point mais tout de même régulièrement.

Il y a une part obsessionnelle. Chez certains ça devient presque un tic ou un toc. Le sportif de haut niveau est par moments obsessionnel et ce n'est pas une mauvaise chose. Il y a peut-être aussi le rituel qui s'approche d'une certaine forme de plaisir. Le regard qu'on croise, le geste qu'on fait qui permet non seulement de m'exprimer mais aussi de me décharger de mon énergie en la canalisant. Quand on serre le poing ou qu'on se tourne vers le public pour entrer en osmose avec lui. Tout dépend aussi de la personnalité du joueur. Il y a ceux qui sont très centrés sur eux-mêmes et d'autres beaucoup moins. En fonction de ce que j'ai envie d'exprimer je vais créer mes repères, et donc mes rituels.

Le rituel plus fort que le doute

Au départ dans un sens plus général le rituel est ancré dans notre histoire, nos traditions comme le pot de départ, le repas de fin d'année, la carte postale en voyage... C'est pour ça qu'appliqué au tennis il faut qu'il ait un véritable sens, sinon cela ne sert à rien de le faire. Cela devient une stratégie quand le rituel est tourné vers un objectif, en l'occurrence rester dans son match, ne pas montrer ses émotions. Le fait que le rituel soit plus fort que les émotions ou les peurs c'est sans doute une des conditions de la performance à haut niveau, surtout dans les moments chauds. Le joueur qui arrive avec un rituel qu'il a préparé pour certains moments (pour bien rentrer dans le match,  le conclure ou tout au long de la partie) est mieux armé que celui qui n'a rien prévu, qui va improviser.

Le rituel peut être autre chose qu'un geste, comme une pensée ou une image. On peut aussi sortir un bout de papier avec une check-list lors d'un changement de côté comme on le voit de plus en plus. Certains joueurs ont compris qu'au tennis même si le coach peut être présent d'une manière ou d'une autre, il y a des moments où l'on doit soi-même assumer sa solitude, et rien n'empêche d'avoir préparé une phrase, des mots clés pour les relire dans des moments où on est moins lucide pour revenir dans le match.

Sensations, mots et images

Que ce soit un rituel d'avant-match, du pendant ou de l'après, ce sont les ingrédients qui priment. Ils sont différents chez chacun. Il y a un certain nombre de mots et d'images qui vont me parler en fonction de qui je suis parce qu'ils sont liés à mon histoire. Il y a des joueurs à qui on parle sans cesse mais ce qu'on leur dit n'a pas d'impact sur eux. Ils n'expriment pas toujours ce dont ils ont besoin en terme de sensations, de mots et d'images. Certains doivent être flattés dans leur égo, d'autres d'être au contraire touchés dans leur orgueil.

Ça ne sert à rien de penser à une plage idyllique si j'ai besoin de m'activer sur le court. Il faut quelque chose. Revenir souvent aux fondamentaux, me baser sur mon coup le plus fort, tout ce qu'on oublie quand on est pas très lucide. Si on rate deux fois de suite une balle facile, c'est là ou on remet tout en question au lieu de relativiser en se disant qu'on fera les comptes à la fin. Le but c'est de passer à autre chose. Un ancien joueur m'a dit que sa parade c'était de visualiser après chaque point gagné ou perdu un essuie-glace en marche sur une voiture.

Pour le travailler, on peut l'appliquer à l'entrainement déjà. C'est un processus personnel même si on peut se faire aider par un entraineur ou une autre personne qui nous connait bien. C'est encore plus efficace si on le trouve par soi-même. Cela peut arriver parfois jeune, parfois tard dans une carrière. Le rituel peut évoluer mais le critère principale c'est que cela ait du sens pour soi, et pas de copier les recettes des autres. Il n'y pas un match dans une année, à de très rares exceptions près, où je ne vais pas avoir un doute et sortir un peu de ma concentration. La parade est là pour mettre à distance ma pensée parasite. Quand cela arrive, encore faut-il avoir prévu quelque chose pour raccourcir ce moment de crise, qu'il ne dure pas cinq minutes mais cinq secondes.